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1 Je vais développer l’idée que, pour la psychanalyse : Le sujet a une éthique de responsabilité pour son mode singulier de jouissance. Pour ce faire, je vais d’abord me pencher sur la Coupe freudienne du sujet.

2Nous trouvons chez Freud les prémisses d’une conception psychanalytique du sujet en ce qui concerne les pulsions, et surtout lorsqu’il s’agit du tournant du pulsion, du tournant nécessaire au développement du pulsion par le passage de la forme passive à la forme active, entre par exemple « voir » et  » se faire voir ».

3l’autre phase du lecteur dans laquelle le sujet est pointé est celle de « l’autre sujet », comme l’appelle Freud, celle qui doit entrer dans la boucle du lecteur pour que la satisfaction puisse être produite. Cette étape de la relation à l’autre par l’entrée d’un  » autre sujet « , un partenaire, dans la boucle de l’entraînement montre à quel point l’intériorité psychique et corporelle du sujet s’articule avec la dimension sociale.

4Mais c’est dans le texte final de Freud, sur « Ichspaltung », qu’il nous apporte non seulement la solution au refus de la féminité comme rocher de la castration et de l’analyse pour les deux sexes, mais il nous familiarise également avec la notion de sujet de l’inconscient qui se débat avec la pulsion, avec la jouissance, et avec les structures sociales, et qui se fait sentir avant tout à travers les interdits.

5Dans cette dernière écriture de 1938, Freud introduit la coupe dans l’Être. Le « Ich » de la « Spaltung » se traduit par la « coupe » ou la « division » de « l’Être ». Par exemple, l’expression « Mein ganzes Ich » est traduite par « Tout mon Être ». On peut compléter cela avec l’Être du « Je » ou du sujet. Cette division entre la déclaration et l’énonciation ne devrait pas nous déranger davantage.

6cette division du sujet est la découverte freudienne de la solution au refus de la féminité et à son socle analytique, à savoir celle, face à un traumatisme psychique tel que le traumatisme d’un danger psychique lié à la poursuite de la satisfaction d’une pulsion, lorsqu’un choix est énoncé:

  • renoncer à la satisfaction en reconnaissant le danger
  • ou en niant la réalité du danger pour maintenir la satisfaction

l’enfant répond à la situation conflictuelle avec deux positions opposées. D’une part, il refuse la réalité du danger et se laisse refuser quoi que ce soit, et simultanément il reconnaît cette réalité en transformant l’anxiété à laquelle ce danger a donné naissance en symptôme.

7La solution au moyen du symptôme se paie non seulement au prix de la souffrance, dans laquelle on reconnaît la jouissance, mais aussi au prix d’une « coupure » dans l’Être du sujet. Il n’y a pas de récupération à attendre de cette division du sujet, dont le noyau est constitué par la pulsion et sa satisfaction, la jouissance et les dangers de la structure sociale. Bref, comme nous le reconnaissons aujourd’hui, il n’y a pas de sujet sans symptôme, c’est-à-dire pas de sujet sans jouissance.

8Le sujet lacanien est fondé dans cette « Ichspaltung » freudienne. Il est d’abord et avant tout défini par le signifiant du Désir de la Mère qui s’incarne dans le phallus. Le phallus qui préexiste au sujet est le signifiant du Désir de la Mère.

9le sujet gréé de ce signifiant avec lequel son Être s’est identifié va continuer à s’incarner dans son corps en incorporant son image dans le miroir de sa mère, qui s’y est investie de sa libido. Par la suite, il a un corps et il est prêt à construire sa subjectivité dans le corps social qui est en tension entre son apparent dans le miroir et l’Autre, la figure de l’altérité absolue, au-delà du miroir et du mur du langage, cet Autre dont il attend en échange de son discours un retour de son propre message sous une forme inversée. Bref, un Autre qui est censé savoir mieux que lui en quoi consiste la vérité de son discours.

10ce sujet qui n’est pas réduit à son image (fondement de son ego), ni à son discours, vit dans un monde de symboles qui s’articulent par le discours social et qui lui permettront d’articuler sa subjectivité et son mode de jouissance, dont on sait maintenant que le sujet est responsable. Cette responsabilité est la responsabilité de sa division subjective qui est le résultat de son choix de son mode de jouissance.

11maintenant, nous pouvons nous poser la question de savoir comment cela, de comment l’id, jouit. Très tôt, Lacan a substitué le sujet aux Es freudiennes. Cette « id », qui n’est pas l’ego, est constituée dans la théorie de Freud par tout ce que l’être apporte dans sa venue à l’être et qui constitue la jouissance de l’être vivant. Encore une fois, on peut noter cette notion d' » Être  » qui relève de la plume de Freud dans ses travaux ultérieurs, notamment dans son  » Esquisse de la psychanalyse « .

12Le « id » nous conduit directement au corps qui s’amuse et qui le fait au-delà de toute considération de sexe. Cette jouissance, que Lacan qualifie de fondamentale ou de  » mortelle « , contraste avec la jouissance sexuelle, dans la mesure où celle-ci est délimitée par une limite. Cette jouissance prend le chemin qui mène à la mort, et elle est dirigée contre son propre corps ou le corps de l’autre partie. Bref, jouir d’un corps, comme le dit Lacan, le plus souvent cela ne consiste pas à le démolir.

13cette jouissance mortelle de l’être vivant s’articule dans l’inconscient avec la pulsion de mort et son jeu de répétition. Et c’est par l’intermédiaire du langage, dans la mesure où l’inconscient est constitué par les traces des expériences de jouissance enfantine, que la recherche de jouissance s’articulera à la trace signifiante qui porte, comme toute trace, la signification de la perte.

14 Cet ancrage de la jouissance mortelle dans l’inconscient à travers les productions du langage qui donnent une signification à la perte de la jouissance introduit la jouissance sexuelle.

15Lacan appelle la jouissance sexuelle « jouissance phallique » parce que la jouissance mortelle est sexualisée par le phallus. Depuis la Grèce antique, le phallus doit toujours être compris comme le signifiant du désir qui introduit la signification de la perte et, par conséquent, la limite qui est imposée à la recherche de la jouissance.

16c’est très bien dit par le philosophe des Lumières Julien Offroy de La Mettrie dans L’art de jouer :  » Si j’ai perdu mes jours dans la volupté, oh !, grands dieux, que je puisse les récupérer pour les perdre à nouveau! »

17le corps parlant et jouissant, dans la mesure où il est construit sur la base du discours qui organise le lien social, nous invite maintenant à nous demander à quel point id jouit dans la sphère sociale.

18laissons-nous aborder la question de la violence et la question de la pornographie, et essayons de comprendre pourquoi il y a aujourd’hui une montée en puissance de ces deux phénomènes dans la sphère sociale.

19 Nul ne contesterait le fait que notre lien social soit marqué par une exigence de jouissance qui pousse vers toujours plus de sexe au détriment d’une sexualité qui serait synonyme d’érotisme. Cette absence d’Éros dans la jouissance ouvre le champ à la pulsion de mort par la désexualisation du lien social.

20la volonté de jouissance s’oppose au désir et au vêtement, au moyen du signifiant phallique, de la pulsion qui limite la jouissance par la sexualisation. On peut ainsi distinguer la jouissance sexuelle d’une autre jouissance plus primaire qui est la jouissance de l’être vivant dans laquelle le corps est apprécié dans un autisme qui ouvre un point d’accès à la « rage destructrice » comme le disait Freud dans sa Civilisation et ses Mécontents en regardant l’inquiétante  » agression et destruction non érotisées ».

21la pulsion de mort s’empare du terrain défriché par un lien social qui a pris rang sous la règle de fer de la volonté de jouissance qui marche au pas des lois du marché et de la consommation toujours plus grande d’objets qui vont très vite de « haut en  » bas sur le marché, ce qui ne fait qu’attiser les flammes de l’exigence de la jouissance.

22la pornographie et la violence préparent le terrain pour toujours plus de jouissance d’un corps désexualisé par l’absence d’investissement libidinal dans le lien.

23cette rage jouissive de violence qui embrasse la pornographie trouve son maître dans un surmoi social exigeant qui exige la jouissance à tout prix, y compris celle de la mort.

24En bref, lorsque la politique ne promet pas un lien social fondé autour de valeurs telles que la singularité, la réciprocité et la communauté, qui forment le tissu de la politique et de l’intériorité du citoyen qu’est le sujet, alors la violence désexualisée, c’est-à-dire la violence sans limites, trouve sa jouissance dans cette désertification.

25l’une des caractéristiques facilement vérifiables de notre lien social aujourd’hui est le dés-investissement de la libido dans le travail.

26c’est mettre la bourgeoisie du système salarial en grande difficulté et une grande partie de la jeunesse a du mal à investir libidinalement dans le savoir. Sans oublier les pentes politiques glissantes liées à l’affaiblissement de la classe moyenne des enseignants, des psychanalystes et des autres citoyens.

27 La psychoanalyse n’est pas une éthique de la jouissance qui engagerait un nouveau désir créatif en culture au sujet qui se saisit dans son corps en développant de nouvelles stratégies de jouissance, ce que Michel Foucault appelait de ses vœux. On peut voir dans un certain sens l’échec du projet de Foucault qui n’a pas su comment s’y prendre pour éviter le repli identitaire sur de nouvelles formes de jouissance, autrement dit la construction des ego. D’autre part, la psychanalyse peut aider un sujet à se débarrasser d’un poids de jouissance, d’où l’idée de Lacan que dans chaque analyse il y a un élève d’Aristote.

28c’est pas dénué de résonance politique du fait que ce que l’on peut légitimement attendre de l’effet d’une analyse sur un sujet qui exerce un certain pouvoir va à l’encontre d’Alcibiade, c’est-à-dire qu’il jouit moins du pouvoir et peut ainsi consacrer son désir à la vie publique.

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