Circulation hyperdynamique dans la cirrhose du foie: pas de vasodilatation périphérique mais de « vol splanchnique »

Introduction

Il est généralement admis que la cirrhose du foie est associée à une circulation hyperdynamique et à une vasodilatation périphérique. Le manuel de médecine d’Oxford décrit les caractéristiques cliniques des « extrémités rincées, des impulsions limites et des pulsations capillaires » dans la cirrhose,1 et une tachycardie au repos et une hypotension systémique, avec des preuves expérimentales d’un débit cardiaque élevé et d’une résistance vasculaire systémique totale réduite, confirment l’existence d’une circulation hyperdynamique. En 1988, Schrier et ses collègues ont proposé l' » hypothèse de vasodilatation artérielle périphérique » pour expliquer cette circulation hyperdynamique ainsi que l’initiation de la rétention de sodium et d’eau dans la cirrhose. De nombreuses théories ultérieures ont été exposées pour expliquer le mécanisme sous-jacent de cette vasodilatation artérielle périphérique. La plupart suggèrent la production ou l’échec de la métabolisation d’une substance vasodilatatrice circulante qui provoque une diminution du tonus vasculaire, le recrutement d’anastamoses artério-veineuses et une hypotension systémique. Divers vasodilatateurs candidats ont été proposés, notamment l’oxyde nitrique, les eicosanoïdes, les sels biliaires, l’adénosine et les tachykinines, telles que la substance P, et le peptide lié au gène de la calcitonine.3 Cette substance vasodilatatrice non identifiée a été tenue responsable de la rétention de sodium et d’eau associée à l’ascite, en raison de l’activation conséquente des systèmes nerveux sympathique, rénine‐angiotensine‐aldostérone et vasopressine. C’est l’oxyde nitrique qui a retenu le plus l’attention,4 bien qu’il soit intéressant de noter qu’il existe peu de preuves d’une libération élevée d’oxyde nitrique basal dans la circulation périphérique des patients atteints de cirrhose précoce ou avancée.5-7

Bien qu’il y ait une réduction marquée de la résistance vasculaire systémique totale, nous contestons la croyance que la cirrhose du foie est associée à une vasodilatation périphérique, et que cela est dû aux effets d’une substance vasodilatatrice circulante systémique. Ceci n’est pas compatible avec les observations cliniques ou les preuves expérimentales, qui ont montré peu de signes de vasodilatation périphérique. Selon notre expérience, les patients atteints de cirrhose avancée ont rarement des « périphéries et des pulsations capillaires rincées ». Bien que la vasodilatation artériolaire sous forme de naevi d’araignée et d’érythème palmaire puisse être présente, leur apparition est imprévisible et ne correspond pas à la gravité de la maladie. La thermographie démontre que les patients atteints de cirrhose du foie avancée ont des périphéries fraîches, avec une pâleur de la peau et une mauvaise perfusion capillaire.8 En effet, dans les questionnaires cliniques, les patients atteints de cirrhose sont plus susceptibles de se plaindre de mains froides.9 Les mesures hémodynamiques montrent que, alors que le flux sanguin splanchnique est nettement augmenté,10 le flux sanguin est significativement réduit dans les membres supérieurs et inférieurs11,12 ainsi que la viscère extra‐splanchnique 13, y compris le cerveau.14

Comment expliquer alors les découvertes de vasoconstriction périphérique face à une circulation hyperdynamique ? Nous proposons que le débit cardiaque élevé et l’hypotension systémique sont liés à la vasodilatation splanchnique marquée et dérégulée consécutive au développement d’une cirrhose du foie et à l’hypertension portale. La fibrose hépatique provoque une altération marquée du flux sanguin porte dans le foie et une vasodilatation splanchnique inadaptée tente de corriger la réduction associée de la perfusion hépatique en augmentant le flux sanguin et la pression dans le système veineux porte. Cependant, plutôt que d’augmenter la perfusion du foie, cette hyperémie et cette hypertension entraînent une dérivation progressive du sang porte dans la circulation systémique via des anastamoses collatérales systémiques porto. Le shunt collatéral progressif exacerbe la réduction du flux sanguin portail vers le foie, créant un véritable phénomène de « vol » (figure 1). Les vols artériels et veineux ont lieu dans ce modèle: le vol artériel se produit à partir de la circulation systémique dans le système artériel splanchnique, tandis que le vol veineux se produit à partir de l’afflux de veine porte du foie dans les collatéraux porto‐systémiques. Ce dernier vol devient extrême dans une maladie hépatique avancée, où le flux sanguin dans la veine porte peut même s’inverser. Ceci est corroboré par la corrélation de l’aggravation de la fonction hépatique avec une augmentation du débit cardiaque et du flux sanguin azygous (collatéral) 15 et une diminution de la perfusion hépatique.16

Les conséquences cardiovasculaires fondamentales de la cirrhose du foie semblent donc être dues à un « vol splanchnique » où se produit une vasodilatation progressive et inexorable du lit splanchnique. Les mécanismes homéostatiques, y compris l’activation des réflexes neurohumoraux, tentent de corriger ces dérangements et conduisent non pas à une vasodilatation périphérique, mais à une vasoconstriction périphérique avec une perfusion tissulaire réduite. Les concentrations plasmatiques de médiateurs vasoconstricteurs tels que les catécholamines, l’angiotensine II et l’endothéline sont élevées et entraînent une augmentation du tonus vasculaire périphérique.7,12 En effet, le blocage systémique des systèmes nerveux sympathique ou rénine-angiotensine provoque une hypotension profonde chez les patients atteints de cirrhose.17,18 Cela indique à nouveau que la circulation périphérique subit une augmentation du tonus vasoconstricteur, malgré une hypotension systémique et une réduction de la résistance vasculaire systémique totale: mécanismes homéostatiques tentant de maintenir la pression artérielle malgré une vasodilatation splanchnique résistante et persistante. Ceci explique également les réponses pressorielles altérées aux agents vasoconstricteurs administrés de manière exogène, tels que la noradrénaline et l’angiotensine II, 19, 20, car le tonus vasculaire basal des circulations extra‐splanchniques est déjà augmenté, et une stimulation supplémentaire ne pourra pas produire la même réponse incrémentale que celle observée chez des volontaires sains normaux.

Ce  » vol splanchnique  » est cohérent avec les réponses hémodynamiques observées à deux manœuvres thérapeutiques utilisées chez les patients atteints de cirrhose et contribue à leur explication. Un shunt portosystémique intrahépatique transjugulaire (TIPSS) est inséré pour réduire le risque de saignement variqueux en atténuant l’hypertension portale grâce à un shunt collatéral accru. Cela exacerbe les perturbations hémodynamiques de la cirrhose,21 entraînant une augmentation du débit cardiaque, une réduction de la perfusion sinusoïdale hépatique et une vasoconstriction périphérique progressive. En revanche, la terlipressine, un analogue à action prolongée de la vasopressine, provoque une vasoconstriction splanchnique sélective et est utilisée dans le traitement du syndrome hépatorénal.22 L’administration de terlipressine améliore la pression artérielle et la fonction rénale en réduisant le vol dans la circulation splanchnique et en détournant le sang vers les circulations systémiques et rénales.

Nous suggérons donc que, bien que la cirrhose du foie soit associée à une circulation hyperdynamique et à une faible résistance vasculaire systémique totale, une vasoconstriction artérielle périphérique marquée est le tableau clinique dominant. Nous émettons l’hypothèse que ces phénomènes apparemment contradictoires reflètent un effet de « vol splanchnique » où une vasodilatation splanchnique dysrégulée et un shunt porto‐systémique induisent un état de débit cardiaque élevé associé à une vasoconstriction extra‐splanchnique périphérique.

Figure 1.

Représentation schématique du phénomène de vol splanchnique.

Figure 1.

Représentation schématique du phénomène de vol splanchnique.

Adresse de correspondance au Dr D.E. Newby, Département de cardiologie, Royal Infirmary, Lauriston Place, Edinburgh EH3 9YW. e-mail : [email protected]

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