(Paris, 12 septembre 1897 ; Paris, 17 mars 1956)
radioactivité, physique nucléaire.
La renommée d’Irène Joliot-Curie provient principalement des découvertes qu’elle a faites avec son mari, Frédéric Joliot, en particulier celle de la radioactivité artificielle, pour laquelle ils ont partagé le prix Nobel de chimie en 1935. Pourtant, ses propres recherches sur les radioéléments produits par l’irradiation de l’uranium avec des neutrons étaient suffisamment importantes pour lui assurer une place parmi les grands scientifiques modernes.
Son père, Pierre Curie, épouse la brillante étudiante polonaise Marie Sklodowska en juillet 1895. Leur mariage marque le début d’une étroite collaboration entre deux chercheurs scientifiques dévoués qui aboutit à la découverte du radium à peine plus d’un an après la naissance d’Irène, leur premier enfant. Le dévouement de Marie Curie à son travail de laboratoire lui laisse peu de temps à passer avec sa fille. La jeune Irène n’aurait eu guère d’autre compagnie que ses gouvernantes si son grand-père, Eugène Curie, n’était venu vivre avec Pierre et Marie Curie en 1898. Eugène Curie, médecin, s’était distingué en soignant les blessés lors de l’insurrection de Paris de juin 1848 et de la Commune de 1871. Jusqu’à sa mort en 1910, il exerce une grande influence sur la personnalité d’Irène, surtout après la mort de son père en 1906. C’est à son grand-père, libre-penseur convaincu, qu’Irène doit son athéisme, exprimé plus tard politiquement comme anticléricalisme. Il fut aussi la source de son attachement au socialisme libéral auquel elle resta fidèle toute sa vie.
Marie Curie a cependant très bien pris en charge l’enseignement scientifique d’Irène. Irène ne fréquente l’école qu’à l’âge de douze ans, mais pendant les deux années précédentes, elle étudie à la coopérative d’enseignement créée par quelques collègues et amis de Marie pour leurs propres enfants : Marie Curie enseigne la physique; Paul Langevin, les mathématiques; et Jean Perrin, la chimie. Irène va ensuite au Collège Sévigné ; elle obtient son baccalauréat juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. De là jusqu’en 1920, elle étudie à la Sorbonne et passe les examens de licence de physique et de mathématiques. Pendant la guerre, elle sert pendant de nombreux mois comme infirmière militaire, aidant sa mère à mettre en place des appareils pour la radiographie des blessés; à l’âge de dix-huit ans, elle est seule responsable de l’installation du matériel radiographique dans un hôpital anglo-canadien à quelques kilomètres du front en Flandre.
En 1918, Irène Curie devient assistante à l’Institut du Radium, dont sa mère est la directrice, et en 1921 elle commence des recherches scientifiques. Sa première enquête importante portait sur les fluctuations de l’aire de répartition des arays. Elle a déterminé ces variations en photographiant les traces que les rayons formaient dans une chambre à nuages de Wilson. Présenté dans sa thèse de doctorat en 1925, ce travail a été suivi d’une série d’études sur la radioactivité classique, dont certaines en collaboration avec Frédéric Joliot, qu’elle avait épousé le 26 octobre 1926. Ce n’est cependant qu’en 1931 qu’ils commencèrent la collaboration constante, qui dura plusieurs années, et qui leur valut le prix Nobel. Il est à noter que pour leurs discours Nobel, Frédéric, considéré comme le physicien, a choisi de traiter de l’identification chimique des radio-isotopes créés artificiellement, tandis qu’Irène, le chimiste, a raconté la découverte d’un nouveau type de radioactivité, la désintégration π positive. Marie Curie était morte d’une leucémie aiguë en juillet 1934 et ne pouvait donc assister au triomphe de sa fille et de son gendre, qui faisait double emploi avec Pierre Curie trente-deux ans plus tôt.
Les honneurs n’ont pas changé Irène Joliot-Curie, qui a conservé tout au long de sa vie une grande simplicité et une droiture profonde. Son attitude pensive la faisait paraître un peu lente et distante, mais elle pouvait être assez vive avec ses quelques amis proches. Elle aimait être proche de la nature et aimait l’aviron, la voile, et surtout la natation pendant les vacances en Bretagne. Elle aimait aussi faire de longues promenades en montagne, où elle était souvent obligée de se rendre en raison d’une maladie tuberculeuse. Bien que son intérêt pour la science soit prééminent, elle aime profondément les écrits de certains auteurs français et anglais, en particulier Victor Hugo et Rudyard Kipling; elle traduit même certains poèmes de Kipling. Elle a trouvé une grande joie dans la maternité et, malgré les heures passées au laboratoire, a consacré beaucoup de temps à ses enfants jusqu’à leur adolescence. Hélène et Pierre deviennent de brillants chercheurs : le premier, comme sa mère et sa grand-mère, en physique nucléaire; le second, en biophysique.
Après avoir été secrétaire d’État pendant quatre mois en 1936 dans le gouvernement du Front populaire de Léon Blum, Irène Joliot-Curie est élue professeur à la Sorbonne en 1937. Elle continue à travailler à l’Institut du Radium, tandis que Frédéric Joliot transfère ses activités de recherche à la Collégiale de France, où il obtient un poste de professeur.
C’est au cours de ces années précédant la Seconde Guerre mondiale qu’Irène Joliot-Curie accomplit son travail individuel le plus remarquable. Aidée par sa grande expérience en radiochimie, elle a cherché à analyser les phénomènes complexes qui résultent du bombardement de l’uranium avec des neutrons. D’abord mis en lumière par Enrico Fermi, ces phénomènes ont ensuite été étudiés par Otto Hahn et Lise Meitner, qui ont démontré que dans l’uranium soumis à un flux neutronique, il apparaît un assez grand nombre de radioactivités π, présentant différentes périodes associées à diverses propriétés chimiques. Cette découverte les a amenés à supposer la formation non seulement de plusieurs radioéléments transuraniques mais aussi de nouveaux radioisotopes d’éléments précédant l’uranium (jusqu’au radium lui-même). Irène Joliot-Curie, en collaboration avec le physicien yougoslave P. P. Savic, a montré que, parmi les radioisotopes formés, un radioélément d’une période de 3,5 heursa pouvait être emporté en ajoutant de l’actinium à la solution d’uranium irradié, puis en le séparant à nouveau par précipitation. Mais ce radioélément n’était pas un isotope de l’actinium, car en ajoutant du lanthane à l’extrait d’actinium puis en le séparant à nouveau par précipitation fractionnée, le nouvel radioélément suivait le lanthane, ses propriétés chimiques étant donc plus proches de celles du lanthane que de celles de l’actinium.
Reproduisant ces expériences, dont il a trouvé le résultat surprenant, Otto Hahn a prouvé que le bombardement de l’uranium par des neutrons produit non seulement des atomes radioactifs possédant des propriétés chimiques très similaires à celles des lanthanides mais aussi, sans doute, des atomes d’un isotope radioactif du baryum. C’est la preuve qu’un neutron peut induire la bipartition d’un atome d’uranium en deux atomes de masse comparable — phénomène peu après appelé » fission » Irène Joliot-Curie avait été à l’origine de cette découverte importante — qu’elle aurait probablement elle-même faite si une complication fortuite n’avait pas caché la formation d’un véritable radioisotope de lanthane dans l’uranium irradié par les neutrons. Le premier existait en association avec un radioisotope de prométhium de période similaire, ce qui explique que la précipitation fractionnée du lanthane séparé de l’actinium entraîne l’apparition dans les fractions supérieures d’une augmentation de la période d’activité de 3,5 heures.
Au moment de l’invasion allemande en 1940, Irène Joliot-Curie décide de rester en France avec les chercheurs de son laboratoire. En 1944, quelques mois avant la libération de Paris, l’organisation de résistance communiste, craignant qu’elle ne subisse des représailles pour les activités de résistance de son mari, entré dans la clandestinité, la fait passer clandestinement en Suisse avec ses enfants. En 1946, elle est nommée directrice de l’Institut du radium, créé pour sa mère une trentaine d’années auparavant, dans lequel elle mène toutes ses propres recherches. De 1946 à 1950, elle est également l’une des directrices du Commissariat à l’Énergie Atomique, dont Frédéric Joliot est le haut-commissaire.
Irène Joliot-Curie partage ses efforts dans les années suivantes entre la création des grands et nouveaux laboratoires de l’Institut du Radium à Orsay, dans la banlieue sud de Paris, et le travail pour les mouvements pacifistes féminins. Elle est décédée à l’âge de cinquante-huit ans, victime, comme sa mère, d’une leucémie aiguë. La maladie était sans aucun doute une conséquence des radiations X et γ auxquelles elle avait été exposée, d’abord en tant qu’infirmière-radiologue insuffisamment protégée pendant la Première Guerre mondiale, puis en laboratoire, alors que les dangers de la radioactivité n’étaient toujours pas pleinement réalisés.
BIBLIOGRAPHY
See Frédéric and Iréne Joliot-Curie, Oeuvres scientifiques complÈtes (Paris, 1961). Irène Joliot-Curie’s publications in collaboration with her husband are listed in the preceding article « Frédéric Joliot-Curie. » Her principal scientific publications include « Sur le poids atomique du chlore dans quelques minéraux, » in Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’ Académie des sciences, 172 (1921), 1025; « Sur la vitesse d’émission des rayons α du polonium, » ibid., 175 (1922), 220; « Sur la distribution de longueur des rayons α, » in Journal de physique et le radium, 4 (1923), 170; « Sur le rayonnement γ du radium D et du radium E, » in Comptes rendus, 176 (1923), 1301; « Sur la constante radioactive du radon, » in Journal de physique et le radium, 5 (1924), 238, written with C. Chamié; « Sur la distribution de longueur des rayons α du polonium dans l’oxygéne et dans l’azote, » in Comptes rendus, 179 (1924), 761, written with N. Yamada; « Sur l’homogénéité des vitesses initiales des rayons α du polonium, » ibid., 180 (1925), 831; « Recherches sur les rayons α du polonium. Oscillation de Parcours, vitesse d’émission, pouvoir ionisant, » in Annales de physique, 2 (1925), 403, diss.; « Sur les particules de long parcours émises par le polonium, » in Journal de physique et le radium, 6 (1925), 376, written with N. Yamada; « Sur le spectre magnétique des rayons α du radium E, » in Comptes rendus, 181 (1925), 31; « Extraction et purification du dépôt actif à évolution lente du radium, » in Journal de physique et le radium, 22 (1925), 471; « étude de la courbe de Bragg relative aux rayons du radium C’, » ibid., 7 (1926), 125, written with F. Béhounck; « Sur la distribution de longueur des rayons α du radium C et du radium A, » ibid., 289, written with F. Béhounck; « Sur l’oscillation de parcours des rayons α dans l’air, » ibid., 8 (1927), 25; Sla mesure du dépôt actif du radium par le rayonnement γ pénétrant, » in Comptes rendus, 188 (1929), 64; « Sur la quantité de polonium accumulée dans d’anciennes ampoules de radon et sur la période du radium D, » in Journal de physique et le radium, 10 (1929), 388; « Sur la décroissance du radium D, » ibid., 385, written with MarieCurie; « Sur la complexité du rayonnement α du radioactinium, » in Comptes rendus, 192 (1931), 1102; « Sur un nouveau composé gazeux du polonium, » ibid., 1453, written with M. Lecoin; and « Sur le rayonnement γ nucléaire excité dans le glucinium et dans le lithium par leas rayons α du polonium, » ibid., 193 (1931), 1412.
See also « Sur le rayonnement α du radioactinium, du radiothorium et de leurs dérivés. Complexité du rayonnement α du radioactinium, » in Journal de physique et le radium, 3 (1932), 52; « Sur la création artificielle d’éléments appartenant à une famille radioactive inconnue, lors de l’irradiation du thorium par les neutrons, » ibid., 6 (1935) 361, written with H. Von Halban and P. Preiswerk; « Remarquessur la stabilité nucléaire dans le domaine des radioéléments naturels, » ibid., 417; « Sur les radioélément de périod par l’uranium irradié par les neutrons, » ibid., 8 (1937), 385, written with P. Savic; « Sur le radioéléments pélriod 3, 5 h. forme dans l’uranium irradioe par les neutrons, » in Comptes rendus, 206 (1938), 1643, written with P. Savic; « Sur les radioéléments formés dans l’uranium irradié par les neutrons, II, » in Journal de physique et le radium, 9 (1938), 355, written with P. Savic; « Sur le rayonnement du corps de période 3, 5 h. formé par irradiation de l’uranium par les neutrons, » ibid., 440, written with P. Savic and A. Marqués da Silva; « Sur les radioéléments formés dans l’uranium et le thorium irradiés par les neutron, » in Computes rendus, 208 (1939), 343, written with P. Savic; « Comparaison des isotopes radioactifs des terres rares formés dans l’uranium at le theorium, » in Journal de physique et le radium, 10 (1939), 495, written with Tsien San-tsiang; « Détermination de la période de l’actinium, » in Cahiers de physique, nos 25 – 26 (1944), 25-67, written with G. BouissiÈres; « Parcours des rayons α de l’ionium, » in Journal de physique et le radium, 6 (1945), 162, written with Tsien San-tsiang; « Détermination empirique du nombre atomique Z, correspondant au maximum de stabilité des atomes de nombre de masse A, » ibid., 209; « Sur la possibilité d’étudier l’activite desa roches par l’observation des trajectoires des rayons alpha dans l’émulsion photographique, » ibid., 7 (1946), 313; Les radioéléments naturels. Propriétés chimiques. Préparation. Dosage (Paris, 1946); « Sur le rayonnement gamma de l’ionium, » in Journal de physique et le radium, 10 (1949), 381; « Autoradiographie par neutrons. Dosage séparé de l’uranium et du thorium, » in Comptes rendus, 232 (1951), 959, written with H. Faraggi; « Sélection et dosage du carbone dans l’acier par l’emploi de la radioactivité artificielle, » in Journal de physique et le radium, 13 (1952), 33, also in Bulletin. Société chimique de France, 20 (1954), 94; « Détermination de la proportion de mésothorium, radium, radiothorium dans une ampoule de mésothorium commercial, » in Journal de physique et le radium, 15 (1954), 1;and « Sur une nouvelle méthode pour la comparaison précise du rayonnement des ampouiles de radium, » ibid., 790.
Le détail de la biographie d’Irène Joliot-Curie se trouve dans Eugénie Cotton, Les Curie (Paris, 1963)
Francis Perrin