Dans Crito de Platon, impliquant Socrate et un personnage nommé Crito; Socrate discute de la question de savoir s’il doit ou non échapper à la punition imposée par les tribunaux athéniens. « S’il est considéré comme juste, nous essaierons de le faire; si ce n’est pas le cas, nous abandonnerons l’idée. » (Crito, 48c). La première importance pour Socrate est de savoir si s’échapper de prison serait juste ou injuste. Il aborde cela sous la forme de deux arguments majeurs contre l’évasion, l’un étant que l’évasion violerait un accord avec la ville, et l’autre étant que l’évasion détruirait la ville. Bien que Socrate ait pu convaincre Crito que s’échapper serait une erreur, par sa logique incontournable, le grand Socrate ne prend pas en compte le désir fondamental d’exister, le désir humain fondamental de continuer à vivre.
Le premier argument de Socrate contre la fuite porte sur le juste accord conclu entre la cité et Socrate. Socrate adopte la voix des « lois » dans son argumentation. « Les lois », selon Socrate, ne sont pas strictement autoritaires parce que quiconque n’est pas d’accord avec les lois a le libre arbitre de quitter la ville et de rejoindre une autre société, et de plus « les lois » offrent même la possibilité « soit de nous persuader, soit de faire ce que nous disons. » (Crito, 52a), Socrate tente de convaincre les tribunaux d’excuses mais n’y parvient pas. Par conséquent, la seule autre ligne de conduite logique est d’obéir au jugement du système judiciaire athénien.
Si le système judiciaire athénien ressemble à notre système judiciaire moderne, alors il doit faire des erreurs. Dans le cas de Socrate, une telle erreur coûtera la vie à un homme innocent. À la lumière de cela, Socrate n’est toujours pas influencé, car il croit que tourner le dos à la ville qui a pourvu à lui et à sa famille serait une injustice. Socrate soutient que les citoyens ont une obligation envers la ville, de respecter ses lois et d’obéir à ses jugements. En vivant dans la ville, Socrate a accepté de respecter les lois qui la régissent.
Pour expliquer davantage son point de vue, il utilise l’analogie qu’un enfant est au parent comme le citoyen l’est à la ville. (Crito, 50-52). Dans l’analogie, la ville d’Athènes est comme un parent de Socrate, « ne t’avons-nous pasbring fait naître. » (Crito, 50d). Socrate soutient qu’il serait faux pour un enfant de s’en prendre au parent qui a accouché, nourri sa croissance et lui a fourni protection et éducation. « Les lois », dans l’argument de Socrate, disent qu’un père et son fils ne sont pas sur la même autorité, et qu’un fils n’a aucun droit sur le père. De même, le citoyen n’a aucun droit sur la loi de la ville. De par son existence même, Socrate aurait accepté de respecter les lois, et à tout moment après sa naissance, il était libre de partir. La seule béquille à cet argument est que Socrate doit croire que la cité est responsable de son existence même.
Si Socrate croyait que sa famille ou même sa valeur étaient responsables de son succès, alors « les lois » n’auraient pas été implicitement acceptées. Il n’y a aucune preuve à Crito que Socrate ait signé un document indiquant qu’il était en accord avec la ville et ses lois. Socrate fait également une généralisation en ce sens qu’en acceptant de vivre dans la cité et d’en profiter, cela équivaut également à accepter d’accepter ses jugements, même s’ils sont injustes et entraînent sa mort. Cependant, Socrate croit que le sien est lié par un accord à la cité, et que s’échapper violerait cet accord. Socrate estime que l’accord est juste et équitable. Par conséquent, il doit être conservé. (Crito, 49e). Cela signifie que Socrate ne doit pas s’échapper.
Une raison ne suffit pas, et Socrate donne à Crito une deuxième raison pour laquelle il ne devrait pas échapper à sa punition. Il raisonne qu’il ne doit pas faire lui-même une injustice, même en échange d’une injustice qui lui a été faite. Il soutient que s’il devait s’échapper, il détruirait la ville. La question au cœur de ce raisonnement est « blessons-nous des personnes que nous devrions le moins blesser? » (Crito, 50a). En s’échappant, Socrate prétend qu’il ferait une injustice, alors qu’il vaudrait mieux être victime d’une injustice que d’agir injustement. (Crito, 49b). Socrate adopte une nouvelle fois la voix des « lois » (Crito, 50 ans) et dit qu’en s’échappant, ne détruirait-il pas la ville ? Ne serait-il pas en train d’annuler le pouvoir des lois ? Le pouvoir des lois est au cœur de cet argument, celui d’accepter la punition. En échappant à la punition, Socrate ferait un exemple qui, vu sous un mauvais jour, peut vraiment corrompre la jeunesse. Il cautionnerait l’anarchie. La destruction de la ville ne se présenterait pas sous la forme de murs en ruine, mais d’un contrôle en ruine de la ville sur ses citoyens. Selon Socrate, ce serait le résultat de sa fuite, et donc de l’injustice, un acte de violence envers la ville et ses habitants.
Socrate avance-t-il cet argument plus que ce qu’il est? On peut supposer sans risque que dans l’histoire du droit athénien, au moins un individu a échappé au jugement de la cour. La ville n’a pas cessé de fonctionner à cause de cela. Les Athéniens menaient encore leur vie de la même manière qu’auparavant. La fuite de Socrate n’aurait sans doute guère plus d’effet sur la société. La seule façon possible que l’évasion de Socrate blesse les personnes qu’il devrait le moins vouloir blesser est de tuer quelqu’un dans le processus. Il infligerait alors des lésions corporelles directes à la ville. Socrate ne voit pas les choses de cette façon. En échappant à sa punition et en annulant les lois de la ville, Socrate soutient qu’il agirait violemment envers la ville, et en agissant violemment envers la ville, il agit injustement et impiété. (Crito, 51c). Socrate soutient qu’il ne faut jamais agir injustement, même en rendant une injustice à celui qui lui a été infligé. (Crito, 49b).
Sa fidélité à Athènes, la ville qui lui a tourné le dos, est ce qui a scellé sa mort. Les arguments de Socrate étaient tous bien présentés et reposaient sur la logique, même face à sa disparition imminente. Leur effet et leur succès global sont une chose tout à fait différente. Il réussit à chaque fois à convaincre son associé Crito que s’échapper de prison et par conséquent que sa condamnation à mort serait fausse et injuste. Il a soutenu que faire des actes injustes revient à se faire ces actes injustes envers soi-même. Il vaut mieux être la victime de l’agresseur que l’agresseur lui-même. Il a soutenu que s’échapper de prison serait à la fois destructeur pour la ville qui a engendré sa croissance, et violerait un accord que Socrate avait conclu avec la ville pour obéir à ses jugements.
Cependant, la logique de Socrate l’a consumé. Cela suppose qu’en résidant dans une ville, les citoyens acceptent de suivre les lois trouvées dans cette ville. Son jugement est donc absolu. Quand une vie est en jeu, il faut examiner sérieusement la nature de l’accord. Un homme peut-il accepter de mourir à la suite d’une décision prise de manière injuste? L’accord lui-même ne manquerait-il pas de sens si sa justification réside dans le mensonge? Certes, l’argument de Socrate donne matière à réflexion. Cependant, les hommes morts ne pensent pas. À quoi servirait la logique de Socrate dans la tombe ?